samedi 12 mai 2007

Pourquoi ?



Certains jours, quand la pulka glisse lourdement dans la neige épaisse, quand le vent qui descend de la montagne fait vibrer la tente, je tourne et retourne la même question : pourquoi suis-je ici?
Mais aujourd’hui, cette question ne me trouble pas. Le soleil poursuit lentement sa courbe vers l’horizon et, juste avant de disparaître, commence à s’élever à nouveau .
Aujourd’hui, l’univers est baigné d’une douce et chaude lumière jaune et le ciel bleu est si pur qu’on a l’impression que les montagnes s’y découpent à l’infini.
Le bleu du ciel est clair et foncé à la fois, d’une couleur qu’on ne peut observer que dans une atmosphère pure et sèche.
Aujourd’hui, je sais pourquoi je suis venu ici.

Je suis souvent parti en expédition : marche, ski, canoë. Je connais la chanson de la pagaie qui murmure en plongeant dans l’eau sombre, paradis du castor et du brochet.
J’ai souvent franchi les mers et régulièrement, la même question me traversait l’esprit : pourquoi suis-je parti ?
Pourquoi quitter mon appartement confortable, l’eau courante, le frigidaire plein?

Pas facile de répondre à cette question mais aujourd’hui, je connais la réponse. Cette réponse je l’ai déjà trouvé dans mes voyages précédents et là, elle me frappe à nouveau, alors que nous progressons vers le Nord, baigné d’un côté par le soleil, étirant nos ombres sur la neige, de l’autre.
Je me sens complètement épanoui, comblé, satisfait. J’ai déjà éprouvé ce sentiment de plénitude et je ne l’échangerais contre aucun autre. Cette expédition valait bien la peine d’être entreprise puisqu’elle me permet d’atteindre cet état.

Chez moi aussi, à la maison, avec ceux que j’aime, je me sens épanoui. Je me sens épanoui en ville, en accord avec le rythme de la ville autour de moi. J’aime les villes, j’aime sortir en ville et la sentir vibrer en moi.
Mais il y a quelque chose de fondamentalement différent, et que je n’arrive à pas à transcrire en mots, entre ce que je peux ressentir de bonheur et d’épanouissement chez moi, et ce que je ressens ici, dans la nature vierge et sauvage.

Voilà sans doute pourquoi je continue à partir, à découvrir le monde: pour ressentir cette harmonie avec la nature environnante, sentir mon esprit plus proche des éléments, supprimer toute frontière et sentir ma vie dépendre complètement de l’environnement.

Il n’est pas besoin de partir loin pour éprouver ce que je décris. Cette sensation d’épanouissement total, on peut la trouver aussi dans la musique, dans l’art, dans le travail du bois.

Pour moi, aujourd’hui, c’est ici au Spitzberg, que je l’ai trouvé.

Aujourd’hui, c’est une belle journée. Une journée où je suis en harmonie avec moi-même et la nature.
Même pendant nos plus mauvaises journées, même lorsqu’une chape de nuages plombait le ciel au-dessus de nos têtes, il y toujours eu à un moment ou un autre un petit rayon de soleil pour percer la brume et dessiner une Gloire sur les montagnes autour de nous.

Je crois que c’est Ibsen, le dramaturge Norvégien, qui a dit : « Au sommet des montagnes, c’est là que se tient Dieu et dans les vallées, plus bas, habitent les hommes ».

Aujourd’hui je me sens en accord avec moi-même mais je n’y voie pas de sentiment religieux. Je ne me considère pas supérieur aux autres, héros mythique ou extraordinaire. Je suis moi, je vis ma vie tout simplement comme elle vient et en ce moment, je vis dans un environnement si beau qu’il me donne le sentiment d’être parfait, complet.
Les montagnes, la neige, les glaciers, le soleil et le ciel, tout paraît si proche et en même temps, si loin. Les mouvements de mon corps me font avancer lentement vers le Nord. Mais je ne suis pas venu ici pour skier, pour ces gestes automatiques qui me propulsent . Je suis venu ici pour connaître ce sentiment de complétude, pour le connaître loin de toute civilisation.

Au-dessus de nos têtes, le soleil, dans son trajet sans cesse recommencé, atteint son point le plus bas, et disparaît un temps derrière la montagne. Un air plus froid descend le long des pentes, depuis les glaciers tout proches. Il est temps de s’arrêter et de monter le campement.
J’interromps ma méditation pour retrouver notre routine quotidienne : monter les tentes, faire fondre la neige, cuisiner le repas et bientôt, se glisser dans son sac de couchage direction le monde des rêves.
Mais la sensation ne faiblit pas, ne s’atténue pas : je suis heureux corps et âme, en harmonie avec la nature et avec moi-même.

Mats

P.S. : cet article a été écrit il y a quelques jours déjà. Aujourd’hui, 9 mai, à mi-chemin de notre expédition, nous en sommes à notre trentième campement et deuxième jour de repos. Repos forcé à cause du mauvais temps qui sévit, mais aussi, du fait de l’arrivée d’une équipe spéciale depuis Longyearbyen, la «love-sickness-rescue-patrol» venue encourager le plus jeune et le plus âgé d’entre nous !
Il fait bon vivre ici et maintenant, il fait bon vivre encore. Reste la question de notre raison d’être sur terre tous ensemble : à cette question-là, il n’y a de réponse définitive.

N.B. de l'équipe blog : cet article nous est parvenu il y a trois jours.

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